Douze puissances économiques majeures se sont engagées à atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. L’Europe n’est plus seule à poursuivre cet objectif, mais elle doit désormais tout faire pour ne pas se laisser distancer par la Chine et les Etats-Unis, estime Pascal Lamy.
Par Pascal Lamy (président émérite de l’Institut Jacques Delors)
Ce mercredi, Joe Biden s’installe à la Maison-Blanche, avec une majorité dans les deux chambres du Congrès. Les conséquences pour le climat sont majeures. Le discours d’investiture du nouveau président devrait indiquer non seulement la manière dont l’investissement dans la transition énergétique peut créer des millions d’emplois de cols bleus de qualité, mais il signalera aussi le retour des Etats-Unis dans la lutte mondiale contre le changement climatique.
Un leadership durement acquis
Sous l’administration Trump, l’Union européenne était devenue le leader mondial sur ces questions, sur lesquelles repose une bonne partie de sa capacité à influencer l’économie et la géopolitique mondiales. Les grandes ambitions de l’Europe en matière de climat et d’industries vertes sont-elles sur le point d’être étouffées, d’un côté par une Amérique redécouvrant ses ambitions climatiques, de l’autre par une économie chinoise en forte croissance, qui a montré l’an dernier qu’elle souhaitait aussi participer à la transition énergétique ?
J’espère bien que ce n’est pas le cas. L’Europe doit s’appuyer sur le leadership durement acquis dans des industries telles que la fabrication d’éoliennes, travailler étroitement sur les questions de climat et d’environnement avec ses alliés traditionnels – même s’ils ne sont pas parfaitement fiables.
Mais ne nous méprenons pas : nous sommes lancés dans une course mondiale. Une course extrêmement compétitive. Nous ne pouvons pas, en Europe, accepter que nos concurrents nous dépassent. Selon une récente analyse de l’Institut Jacques Delors, alors qu’en 2019 seuls quelques pays s’étaient engagés à parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050, c’est désormais douze puissances majeures, y compris la Chine , les Etats-Unis et le Japon , qui se fixent cet objectif d’ici à 2050 ou 2060. Ensemble, ils représentent près de 75 % du PIB mondial.
Technologies propres
Pour rester leader, l’UE doit agir immédiatement dans trois domaines. D’abord, investir davantage dans les innovations propres transformatrices. Selon le rapport « Fit for Net-Zero » de Capgemini Invent, l’essor d’un éventail de technologies propres en Europe peut aider à y soutenir 12,7 millions d’emplois, réduire la pollution et créer des opportunités économiques estimées à 13 milliards d’euros d’ici à 2050. Ces innovations vont des applications de mobilité urbaine aux éoliennes flottantes en mer, en passant par les protéines d’insectes pour limiter les émissions liées à l’élevage. Avec d’autres organisations, nous avons appelé l’UE à renforcer ses propres actions pour accélérer l’innovation dans les technologies propres.
Ensuite, nous devons garantir que le cadre européen en matière de recherche et d’innovation soit à la hauteur de son potentiel. Trop souvent, cette approche a été fragmentaire et dispersée, ce qui freine notre économie et entrave les chercheurs, innovateurs et entrepreneurs sur lesquels nous comptons pour développer l’économie propre du monde de demain. En lançant cette année cinq « missions », qui devront proposer des solutions à cinq questions phares pour 2030 (cancer, villes propres, régénération de l’hydrosphère, sols et adaptation au climat), la Commission européenne pourra permettre aux innovateurs de libérer leur inventivité en Europe et dans le reste du monde.
Trop tard et trop peu
Enfin, nous devons tirer les leçons de nos erreurs. L’Europe est restée en marge de la révolution numérique mondiale. Aucune entreprise majeure du numérique n’est basée au sein des frontières européennes. Nous avons agi trop modestement et trop tardivement. Ne répétons pas cette erreur. Plus les décideurs politiques augmenteront les investissements publics verts et adopteront une réglementation stricte dans des secteurs comme l’énergie, les transports et les bâtiments, plus ils soutiendront l’innovation des entreprises européennes afin que les Apple, Google et Baidu de la transition écologique naissent et croissent en Europe. Et non dans la Silicon Valley ou à Shanghai.
Pascal Lamy coordonne les travaux du think tank Jacques Delors. Il a été membre de la Commission européenne (1999-2004) et directeur général de l’OMC (2005-2013).