La ministérielle de l’OMC, un bilan ni médiocre, ni historique, pour Pascal Lamy

/ Genève (Suisse) – 22 juin 2022 06:45 – AFP (Agnès PEDRERO)

Le bilan des accords conclus lors de la 12e Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce à Genève n’est ni historique, ni médiocre, estime pour l’AFP Pascal Lamy, qui a dirigé l’organisation de 2005 à 2013.


Q: L’OMC et des Etats parlent d’un paquet d’accords historiques mais les ONG dressent un bilan plus contrasté. Qui croire?
R: « La vérité est entre les deux. Historique, cela me paraît un peu hyperbolique, mais médiocre sûrement pas. C’est un bon résultat parce qu’il est supérieur aux attentes. L’appréciation d’ensemble est vraiment positive quand on voit la situation dans laquelle est ce monde, qui n’a jamais été aussi divisé depuis 50 ans.
Si on regarde sujet par sujet, il y a une vraie percée sur un sujet qui a mis à 20 ans à aboutir, et qui m’est cher pour l’avoir initié au nom de l’UE en 2001, qui est l’accord sur le contrôle des subventions à la pêche. Un problème qui n’est pas vraiment commercial mais environnemental. Et donc pour la première fois, et c’est très important dans son l’histoire, l’OMC est entrée sérieusement dans les questions d’environnement. La vraie avancée dans l’accord sur la pêche, c’est la mise en place d’un système de notification et de monitoring. Santiago Wills, l’ambassadeur colombien qui a piloté les négociations sur la pêche, a vraiment fait un travail diplomatique remarquable.
Sur les autres sujets, le résultat est correct sur les brevets des vaccins Covid, sur les exonérations des livraisons du Programme alimentaire mondial et sur la taxation du commerce digital international. Mais l’accord sur la réforme de l’OMC est aussi vague qu’insignifiant ».


Q: Dans quelle direction doit aller la réforme?
R: « Il faut, enfin, surmonter les réticences des Etats à renforcer les attributions du secrétariat de l’OMC. Aujourd’hui le secrétariat de l’OMC est devenu un notaire. Ce n’est pas ce qu’il faut. Ngozi Okonjo-Iweala a su taper du poing sur la table au bon moment, elle a très bien travaillé. C’est un beau succès personnel. Cela prouve que la direction d’une réforme de l’OMC, c’est de donner plus de responsabilités au secrétariat. L’OMC est de ce point de vue-là beaucoup moins bien organisée que la plupart des organisations internationales où le secrétariat a par exemple une certaine autorité sur l’ordre du jour ou au moins la capacité de faire des propositions. Aujourd’hui, il n’y a que les membres de l’OMC qui ont le droit de faire des propositions – que cela soit de textes ou de compromis.
Il faut réformer le processus de décision, qui est beaucoup trop compliqué et donc trop long. Environ 6 ans en moyenne pour tous les sujets. On peut en gagner 5 sur les 6 très facilement grâce aux experts de l’OMC qui sont excellents et objectifs. Ils pourraient faire des diagnostics, des propositions, comme dans d’autres organisations internationales, comme l’Organisation mondiale de la santé ou l’Organisation internationale du travail.
Dans les 15 groupes qui se réunissent tous les jours à l’OMC, c’est toujours les membres qui surveillent les membres. Le secrétariat est là pour les aider à le faire, mais cela n’est pas de l’initiative. On devrait leur donner un droit à l’initiative ».

Q: L’OMC peut-elle se passer de la règle du consensus ?
R: « Le consensus est incontournable pour des accords multilatéraux. Pour une raison simple : il n’y a pas d’autre possibilité réaliste. Vous n’allez pas faire une majorité simple qui réduirait l’Europe, la Chine et les Etats-Unis à 3 voix. Cela n’a aucun sens. On pourrait songer à élaborer des modes de calcul de majorités pondérées comme dans l’UE. Trop compliqué. Par contre, il faut ouvrir davantage la porte à des accords plurilatéraux. Puisqu’aujourd’hui en théorie, vous ne pouvez vous lancer dans un accord plurilatéral qu’avec l’accord de tout le monde. En réalité, c’est ça qui est en train de changer petit à petit. Donc la voie n’est pas dans le mode de décision par consensus ou pas, il est dans la géométrie variable des accords et dans l’organisation des négociations ».
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