« Poutine a jeté l’Europe dans les bras américains de l’OTAN et les Américains ont jeté Poutine dans ceux des Chinois » (Pascal Lamy)

GRAND ENTRETIEN- Dans une longue interview accordée à La Tribune, Pascal Lamy, ancien commissaire européen pour le commerce de 1999 à 2004 et ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 2005 à 2013, analyse en profondeur les conséquences géoéconomiques et géopolitiques du choc provoqué par la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales qui l’ont accompagnée. Pour lui, le monde n’est pas entré dans une phase de démondialisation ou de mondialisation fragmentée. « Les facteurs de globalisation sont en effet supérieurs aux facteurs de fragmentation ». Et la Russie, du point de vue du commerce international et de la globalisation, reste un « épiphénomène ». Plus que la globalisation, la Russie ou la place de la Chine, les enjeux prioritaires de l’Europe sont doubles : accélérer l’intégration de l’Union européenne et faire en sorte que l’Afrique gagne absolument son combat contre la démographie dans les vingt ans qui viennent. A ce titre, « l’Afrique est le problème numéro 1 pour l’Europe », estime-t-il.

LA TRIBUNE- Certains voient dans la guerre en Ukraine le début d’une « démondialisation », d’autres d’une « fragmentation de la mondialisation »avec l’émergence de blocs de pays constitués sur des considérations géopolitiques, échangeant peu ou pas du tout entre eux. Quelle est votre analyse ?

Après la chute du mur de Berlin en 1989 on a pu penser que la géoéconomie allait l’emporter sur la géopolitique. Depuis la crise de2008, nous assistons à une évolution inverse comme peuvent le laisser penser plusieurs événements comme l’arrivée de Donald Trump à la présidenceaméricaine, le Brexit, la montée des populismes un peu partout dans le monde, la montée des tensions sino-américaines et in fine l’invasion de l’Ukrainepar la Russie. Avons-nous pour autant changé de paradigme au point d’affirmer que la géopolitique va dominer la géoéconomie au cours desprochaines décennies et fracturer ce monde? Je ne le crois pas. Si je reconnais qu’il y a des changements importants, je pense que les facteurs deglobalisation restent, dans l’ensemble, supérieurs aux facteurs de fragmentation. Et ce, même si la tendance générale à la globalisation sera moinsforte que par le passé -c’est ce qu’on appelle la « slowbalisation »- et que la globalisation de demain aura des formes différentes de celle d’aujourd’hui.La réduction actuelle du ratio entre l’augmentation en volume du commerce international et la croissance, est un signe de ralentissement de laglobalisation, pas de régression.


En quoi cette mondialisation sera-t-elle différente ?
Elle sera différente dans son développement et ses flux, lesquels ont toujours obéi aux progrès de la technologie et à la contraction du temps qu’ellepermet. La technologie modifie la distance. Le temps de l’échange, qui l’a longtemps freiné, est en train de se contracter. Davantage d’ailleurs dans lesservices que dans les biens. La digitalisation, surtout quand on la couple à la servicification des économies, est aujourd’hui un puissant moteur

d’échange international. Au cours des vingt ans qui viennent par exemple, 50 millions de médecins indiens vont entrer dans le marché global du télédiagnostic. La technologie et la servicification de l’économie continueront donc de pousser en faveur de la globalisation. En face, il y a aussi des facteurs de déglobalisation ou de réduction des interdépendances, à commencer par la rivalité sino-américaine, qui restera le fond de tableau de la géopolitique et de la géoéconomie mondiale des 50 ans qui viennent.

Janet Yellen, la secrétaire d’Etat américain au Trésor mais aussi Christine Lagarde, la patronne de la BCE, parlent de « friend-shoring », friend-sharing », et de friend-shopping », un système qui viserait à sécuriser les chaînes de production en les organisant entre pays « amis ». Qu’en pensez-vous ?
La crise du Covid a fait apparaître la fragilité de certaines chaînes de production. On l’avait déjà vu d’ailleurs lors de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011 ou au moment d’inondations en Asie du sud-est à la fin des années 90, mais c’est la première fois qu’on observe ce phénomène decette ampleur. Certes, il y a une partie de « reshoring », de « safe-shoring », un peu de « friend-shoring », versions plurielles de diverses relocalisationsde la production. Mais il y a d’autres moyens de remédier à la fragilité des chaînes de production, à commencer par la diversification desapprovisionnements, laquelle augmente d’ailleurs l’échange international. Si vous passez d’un fournisseur chinois, à trois fournisseurs, un chinois, unvietnamien et un bangladais, vous contribuez à la globalisation.

La modification des flux n’est-elle pas un facteur de mutation de la mondialisation ?
Certes, mais la géographie des flux a toujours changé. Quand le salaire minimum chinois augmente de 15% par an, ou si le prix du carbone passe à 100euros, cela change la géographie des flux. Mais ce n’est pas de la déglobalisation. C’est une globalisation avec des reliefs différents. Cela dépend dessecteurs, des changements des prix relatifs, des parcours de décarbonation des uns et des autres, des évolutions des réglementations


Faut-il néanmoins s’attendre à des relocalisations en Europe ?
Un peu. Pas beaucoup, parce que le coût est élevé pour les entreprises. Bien sûr qu’il y a des éléments de « reshoring » dans l’industrie. L’impression 3D,par exemple, va, dans certains secteurs, favoriser des relocalisations. Il y a également des métiers qui, au regard de l’augmentation des salaires enChine et dans quelques années au Vietnam et au Bangladesh, préfèreront relocaliser. Mais ce n’est pas la tendance principale, ne serait-ce qu’en raisonde la géographie des marchés en croissance la plus rapide, là où il faut être, et d’abord sur le pourtour du Pacifique. Quant aux éléments de « friend-shoring », il y en a. Mais cela reste marginal, car cela coûte cher. Les rabais amicaux sont rares.


La multiplication des sources d’approvisionnement ne coûte-t-elle pas cher également ?
Pas forcément. Si vous prenez les fournisseurs du sud est Asiatique, ils ont de la place pour rogner sur leurs marges d’exportateurs.

La guerre en Ukraine provoque une onde de choc sur l’économie mondiale, notamment en Europe. Quel est l’impact à court et long terme sur lecommerce international de cette guerre et des sanctions qui l’accompagnent ?
La Russie, du point de vue du commerce international et de la globalisation, est un épiphénomène. Ce qui se passe ne chamboule pas la globalisation.L’Europe aura moins de gaz russe, mais on ira chercher du gaz américain ou qatari. Ce n’est pas une contribution à la déglobalisation. C’est juste unchangement de la carte des flux. La Russie est un cas intéressant, car c’est l’économie la moins globalisée qui soit à l’exportation. Elle pratique ce queles économistes appellent le commerce « fatal ». C’est-à-dire du commerce de surplus. Qu’exportent les Russes ? Des énergies fossiles, des minerais,des combinaisons de deux, acier ou aluminium, de l’agriculture et des armes. Ce n’est donc pas une économie globalisée au sens où elle ne crée pasdes interdépendances qui naissent d’une division intelligente du travail international, au sens de l’intérêt qu’ont les pays à échanger des produits qu’ilsfont mieux que les autres contre des produits qu’ils font moins bien. Un intérêt qui pousse d’ailleurs à la paix. Les Russes ne sont pas dans ce jeu-là. Ilsexportent ce qu’ils produisent en trop et sont obligés d’exporter. Et l’Europe importe, pour un court moment encore, du gaz russe parce qu’elle en a besoin, que son transport par gazoduc est moins cher, et son empreinte carbone moins mauvaise que celle du GNL américain.


Qui de l’Europe ou de la Russie sera la plus impactée au cours des prochaines années ?
A court terme, l’Europe souffrira et devra faire preuve de solidarité. On est en train de découvrir que l’autonomie stratégique a un prix. Politiquement ce n’est pas un hasard si en Allemagne et en France, on ne dit mot sur les rationnements d’énergie qui vont arriver à l’hiver 2023/2024. A long terme, c’est évidemment la Russie, qui est en train d’être éviscérée de tout ce qui l’avait modernisée depuis 30 ans : des investissements étrangers, des transferts de technologie, du savoir-faire occidental, des cerveaux russes qui partent.


Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie reprend elle aussi l’idée de commercer avec des pays amis. Les dirigeants russes et chinois n’ontd’ailleurs de cesse d’étaler au grand jour leur amitié et de montrer leur volonté de coopérer étroitement à l’avenir. Ne va-t-on pas vers la constitutiond’un bloc sino-chinois sachant que la Chine pourrait facilement remplacer les Européens en Russie ?
Je n’y crois pas beaucoup. Il y a un bloc chinois, américain, un bloc européen. Ce n’est pas nouveau. Je ne pense pas que la Chine aura comme politiqued’aider sérieusement la Russie au risque de sanctions. L’alliance sino-russe est plutôt une alliance narrative anti occidentale qui trouve un échoimportant dans le monde. La Chine fera en sorte de profiter de l’évolution de la situation. Ils ont désormais une taille, une masse, un niveau desophistication, y compris technologique, des réseaux qui en font un acteur incontournable.


Les critères ESG se développent très fort en Europe. Ne peuvent-ils pas contribuer à relocaliser ?
Oui, cela va jouer, un temps. Mais les autres suivront, et tant mieux. Et l’amélioration de la qualité ESG des chaînes de valeur ne signifie pas toujoursqu’elles vont raccourcir. C’est la globalisation qui va servir de vecteur à la normalisation de certaines chaînes de valeur sous la pression des syndicatsou des consommateurs. Cela passera par la vérification de ce qui se passe en amont du point de vue du respect des droits de l’Homme, des régimessociaux, des contraintes environnementales, des normes sanitaires et phytosanitaires.

Même chose pour l’Inde ?
Probablement, à leur manière, qui n’est pas la même que celle de la Chine avec laquelle ils ont des différends, y compris territoriaux. J’ai de bonnesraisons de penser qu’ils vont se distancier des Chinois, avec qui ils ont un problème de frontières. L’Inde peut rester intelligemment neutre. Sur le planintérieur, Narendra Modi a pris un virage anti-musulmans et pro-Hindous, qui ne va pas forcément trouver un écho favorable en Asie du Sud Est. Demême, je pense que même si la Chine est en train d’essayer d’intégrer la zone du sud-est asiatique sous son influence, les pays de l’Asean vont résister.On voit comment l’Asean se renforce, c’est le seul processus d’intégration régionale, avec l’Union Européenne, qui ait progressé en permanence depuis50 ans, pour la simple raison qu’ils ne veulent pas mettre tous leurs oeufs dans le panier chinois.


La Chine est-elle une menace ?

Je pense que la Chine est une menace dans certains domaines, mais aussi qu’une Chine autarcisée est plus menaçante qu’une Chine globalisée. AuxEtats-Unis, on pense l’inverse. Par ailleurs l’idée européenne, française et américaine, sous une forme différente, d’une politique indo pacifique plusmusclée fait du sens.


Vous ne croyez pas une « fragmentation » de la mondialisation pour les produits manufacturés. Qu’en est-il pour l’économie digitalisée ?
Elle sera globalisée de manière différente que la « vieille » économie. Dans certains cas davantage : les business modèles sont les mêmes partout, lesplateformes, les réseaux sociaux se ressemblent, prennent du pouvoir de marché partout, et posent les mêmes problèmes de concurrence et decontenus. Mais aussi moins dans d’autres car la matière première, la donnée, n’est pas idéologiquement neutre et obéit à des préférences collectivesdifférentes en termes de protection, de circulation, de stockage, de sécurité, de contrôle politique. Des reliefs qui n’ont rien à voir avec le mondephilosophiquement plat des chemises, des voitures, des smartphones. D’où des écosystèmes différents, des principes de régulation plus variés, et doncune certaine fragmentation.


En combien de blocs ?
A mon avis ce sera en trois : Etats-Unis, Europe, Chine. Qui devront aménager convergences ici et coexistence là pour garder les bénéfices del’ouverture et des économies d’échelle tout en satisfaisant des nécessités de sécurité. Une globalisation avec des pare-feux, en quelque sorte.


La poussée du protectionnisme observée ces dernières années un peu partout dans le monde n’est-elle pas une menace pour la globalisation ?

Le passage du protectionnisme au précautionnisme reste la grande inconnue. Le protectionnisme consiste à protéger ses producteurs de laconcurrence étrangère. Cela existe depuis 22 siècles et on sait, avec des quotas, des droits de douane, des subventions pourquoi et comment faire ou,de plus en plus, ne pas faire. Le précautionnisme consiste à protéger les populations de certains risques environnementaux, sanitaires, sécuritaires aumoyen de normes, de régulations et de contrôles. C’est donc une tout autre approche parce que l’on crée des obstacles à l’échange international pourceux qui veulent exporter sur plusieurs marchés qui ne viennent pas, comme dans le cas du protectionnisme, des mesures destinées à protéger lesproducteurs des pays importateurs, mais des différences de régulation entre les pays où l’on veut exporter. Par exemple, un exportateur rwandais deroses peut rencontrer de gros problèmes à exporter au Japon, aux Etats-Unis ou en Europe, non pas parce qu’il est confronté à des obstaclesprotectionnistes de la part de ces pays, mais parce que la régulation sur les pesticides est différente dans chacun de ces pays. Ce qui l’oblige à séparertrois champs pour cultiver ses roses de manière différente pour tenir compte des trois réglementations. Le précautionnisme, dont la montée estinéluctable, crée des frottements à l’échange international. Il est la manifestation de l’augmentation du prix du risque. C’est un dénivellement du champconcurrentiel. Si on regarde par exemple où l’on peut ouvrir davantage l’échange transatlantique, ce n’est pas dans les droits de douane, sauf de manièremarginale dans l’agriculture, c’est dans le domaine réglementaire, les normes, les standards, les modes de certification. D’ailleurs, où constate-t-on lamontée la plus rapide de l’influence chinoise ? C’est dans les organismes de standardisation internationale.


Une éventuelle réélection de Donald Trump serait-il un coup frein à la globalisation ?
Non. Parce que l’expérience Trump a beaucoup vacciné. Un échec annoncé. Aujourd’hui avec l’inflation, les Américains se rendent compte qu’il faut retirer les droits de douane, lesquels ont fait augmenter les prix d’un certain nombre de biens de consommation de 30%. La leçon de Trump, c’est l’échec le plus complet du protectionnisme le plus brutal et le plus inculte, consistant à penser que les droits de douane sont payés par l’exportateur. Non, ils le sont par le consommateur. Les Républicains et Démocrates partagent le même point de vue. Certes, ils veulent découpler l’économie européenne de l’économie chinoise dans les secteurs de la Tech. Mais ça, ce n’est pas d’abord une affaire de politique commerciale mais plutôt de politique industrielle, de recherche, d’innovation de formation, de qualité des systèmes sociaux.

La transition écologique peut-elle influencer la carte de la globalisation ?
La transition écologique, en ce qu’elle modifie les prix relatifs, va bien sûr affecter la carte de la globalisation, mais ce sera toujours de la globalisation. S’il y a un facteur qui résume les évolutions, c’est le « repricing », la réévaluation du risque, et d’abord du risque le plus menaçant, le risque environnemental. Mais qui est perçu de manière très différente entre L’Europe et la Chine d’un côté et les Etats Unis de l’autre. D’où un autre risque de frottements.


Quand on sait qu’une grande partie des métaux stratégiques ou du raffinage sont en Chine ou en Russie, n’y a-t-il pas un risque sur la transition écologique des pays occidentaux ?
Il peut y avoir des raisons de la freiner à court terme, mais aussi de bonnes raisons de l’accélérer. On le voit bien avec l’impact de l’invasion de l’Ukraine sur le système énergétique européen. Une partie des pays se tournent vers le charbon tandis que d’autres veulent accélérer le développement des énergies renouvelables. L’un dans l’autre, le résultat va être une accélération de la décarbonation de l’énergie européenne. En matière agricole, cela est un peu différent. Des pressions s’exercent à Bruxelles pour alléger à moyen long terme les contraintes environnementales qui vont s’appliquer à notre système agroalimentaire auxquelles il serait infondé de céder, de mon point de vue. Je n’assimile pas, contrairement à d’autres opinions, la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire.


Quelle sera la place de l’Europe demain ?
Avant l’invasion de l’Ukraine, je pensais qu’elle était entrée dans une nouvelle phase d’intégration dynamique autour du « pacte vert », de l’autonomie stratégique, du rattrapage digital. Depuis, j’en suis moins sûr parce que cette guerre est arrivée trop tôt du point de vue de de l’Europe de la défense. Poutine nous a inévitablement jetés dans les bras américains de l’OTAN et les Américains ont jeté Poutine dans ceux des Chinois. Les dés roulent. Et je ne sais pas très bien de quel côté ils vont tomber.


Certains observateurs disent pourtant que la crise, dans la capacité qu’ont eu les pays membres à pratiquer des sanctions communes à l’égard de la Russie, a renforcé l’Europe.

Ce n’est pas faux, à court terme. Il y a eu trois grandes étapes d’intégration européenne ces derniers temps, qui ont toujours résulté de crisesextérieures auxquelles l’Union européenne a réagi en faisant riper l’ancre allemande : En 2008, où nous n’avons pas tenu compte du traité de Maastricht,pendant la crise du Covid avec un endettement commun, et aujourd’hui avec les sanctions contre la Russie et la décision de financer l’envoi d’armes àl’Ukraine au niveau européen.
Pour autant, cinq mois après le début de la guerre, je crois qu’il serait prématuré de considérer que la guerre en Ukraine a renforcé l’Europe. Je suis malà l’aise quand j’entends à Washington, Londres, Pékin, Moscou, présenter ce conflit comme une affaire entre l’Ouest et le reste du monde qui considère,lui, que cette guerre n’est pas son affaire. Ce n’est pas bon signe, y compris pour l’Europe, dont j’ai toujours pensé qu’elle devait avoir son individualité.On fait partie du monde libre et c’est très bien. Mais quand j’entends certains responsables britanniques affirmer que le G7 c’est l’OTAN de l’économie,je me souviens de Trump au G7 et je frémis pour l’union des européens.

Plus que l’Occident contre le reste du monde, n’est-ce pas davantage les démocraties contre les régimes autoritaires ?
Non. Pour moi, l’Inde est une démocratie acceptable et elle n’est pas de notre côté, tandis que Singapour, qui n’en est pas une, est avec nous.


Que doit donc faire l’Europe ? Accélérer son intégration tous azimuts. En 2050, l’UE comportera 35 membres.
Même si la dernière grande phase d’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est en 2004 n’a pas été une réussite.
Le désir à l’époque était tellement fort, c’était impossible de faire autrement. Cela a conduit à certains raccourcis dans notre pensée de l’Europe centrale et orientale dont, on est en train de payer le prix maintenant. Pour autant, je ne suis pas d’accord pour dire que l’élargissement était précipité. Ces pays sont entrés dans l’UE une quinzaine d’années après la chute du mur de Berlin en 1989. Je rappelle que l’Espagne et le Portugal ont attendu douze ans après la fin de la dictature. A cette aune, une adhésion de l’Ukraine en dix ans serait une performance !


Pour vous l’entrée de l’Ukraine dans l’UE est donc une certitude ?
Une forte probabilité, quand elle sera reconstruite. On est en train d’organiser deux parcours parallèles qui sont le parcours d’ajustement de l’Ukraine aux normes européennes et le parcours de reconstruction de ce pays. Reste à trouver les 500 milliards nécessaires, une addition qui va sans doute augmenter dans les mois qui viennent. L’invasion russe a rendu inévitable l’accession de l’Ukraine à l’UE, mais pas forcément à l’OTAN dans le même temps.
J’ai bien connu l’Ukraine. J’ai travaillé pour l’aider à faire entrer dans l’OMC un pays gangréné par la corruption à l’époque. Je découvre aujourd’hui un pays différent, avec une armée qui a été formée pendant 10 ans par l’OTAN. Cela n’a pas échappé aux Russes. Le fait que l’UE ait commencé, récemment il est vrai, à réfléchir à son indépendance énergétique à l’égard de la Russie et que l’Ukraine se soit renforcée a pu jouer dans la décision de lancer l’invasion le 24 février dernier.

Lire l’interview intégrale sur La Tribune