Par Anne Rovan
Publié hier à 18:57, mis à jour hier à 18:57
DÉCRYPTAGE – Depuis l’automne, l’UE mesure à quel point la loi de réduction de l’inflation voulue par Joe Biden pousse loin le protectionnisme. Elle va pénaliser les industries du bloc.
Il y a eu, comme souvent en Europe, retard à l’allumage. Mi-août, lorsque Joe Biden promulgue en grande pompe sa loi de réduction de l’inflation dite «IRA», qui prévoit de consacrer quelque 370 milliards de dollars à la réduction des gaz à effet de serre, Bruxelles n’y voit que du feu. Dans un tweet, Ursula von der Leyen salue même le texte.
Après les très difficiles années Trump, la présidente de la Commission européenne se félicite que les États-Unis renouent avec la lutte contre le réchauffement climatique. Mais, à l’automne, à mesure que les cours de l’énergie grimpent dans l’UE et que les économies ralentissent, les Européens mesurent à quel point la loi pousse loin le protectionnisme et va pénaliser les industries du bloc.
«C’est de la pure discrimination en faveur des producteurs locaux. C’est contraire à tout ce à quoi ont souscrit les Américains depuis 1947. Avec cette loi, ils se sont assis sur les règles du commerce international», critique Pascal Lamy, président émérite de l’Institut Jacques-Delors et ancien directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Début novembre, le commissaire à l’Industrie, Thierry Breton, agitait la menace d’«aller devant l’OMC». Quelques jours plus tôt, un groupe de travail entre la Commission et l’Administration Biden était constitué. Il s’est encore réuni mardi. À l’approche d’une réunion cruciale du Conseil commerce et technologie prévue le 5 décembre aux États-Unis, l’objectif de la Commission est de décrocher des exemptions et assouplissements au texte.
Mises en garde
Dans le collimateur, il y a notamment ce coup de pouce de 7500 dollars promis aux ménages américains qui achèteront des voitures électriques assemblées aux États-Unis et dont une bonne partie des composants en viendront, notamment les batteries. Pour décrocher la subvention, au moins 40% de la valeur des minéraux critiques entrant dans la composition de ces batteries devront provenir des États-Unis ou d’un partenaire de libre-échange américain.
Le texte doit entrer en vigueur le 1er janvier 2023. Et les industriels multiplient les mises en garde, voire gèlent ou remettent en cause des investissements initialement programmés en Europe. Le patron de Tesla, Elon Musk, – que l’on ne peut guère soupçonner d’être proche de Joe Biden – a suspendu en septembre son projet d’usine allemande de batteries. Le suédois Northvolt a annoncé mardi qu’il retardait son projet de construction d’une usine en Allemagne, en raison des coûts très élevés de l’énergie en Europe. Il pourrait au final choisir les États-Unis, alors que la loi américaine lui permettrait de mettre la main sur 836 millions de dollars de subventions. «Environ quatre fois ce que le gouvernement allemand propose», soulignait la semaine dernière le directeur général du groupe, Peter Carlsson.
Dans le contexte géopolitique actuel, il ne faut pas abîmer notre relation avec les États-UnisValdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission en charge du Commerce
Alors que les Français critiquent ouvertement le texte et que les échanges se multiplient entre Paris et Berlin pour tenter de trouver une «réponse européenne forte» à l’IRA, d’autres États membres sont partisans d’une approche moins vocale, «sans mégaphone» précise une source européenne. Selon certains, la France serait même relativement isolée. «La Pologne, les Baltes, l’Espagne, l’Italie et le Benelux jugent qu’il faut être prudent», fait-on valoir à la Commission, où l’on estime que l’UE n’aurait rien à gagner à entrer dans une guerre des subventions ou des tarifs avec l’allié américain, si précieux face à Moscou, dans le soutien à l’Ukraine et à l’Europe. «Dans le contexte géopolitique actuel, il ne faut pas abîmer notre relation avec les États-Unis», a souligné vendredi le Letton Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission en charge du Commerce.